Histoire des décorateurs du XIXe siècle à nos jours

Le métier de DECORATEUR émerge au cours du XIXe siècle, avec des personnalités originales, volontiers indépendantes, comme Eugène Lami, Antoine Zoegger ou Jules Allard. Le décorateur rivalise alors avec l’architecte qui reste cependant encore largement maître du décor.

À la suite de créateurs comme Percier et Fontaine, dont la collaboration a donné naissance au style Empire, la question du décor intérieur devient essentielle. La distribution des pièces, le choix des couleurs, l’emplacement du mobilier et l’exposition d’objets d’art, parachèvent la quête de reconnaissance sociale et d’affirmation d’un goût propres aux élites européennes.

« Le décorateur et l’amateur d’Art, dessins de décors intérieurs »
de Olivier Gabet, conservateur du patrimoine au musée d’Orsay.
Dans le cadre de l’exposition du
Musée d’Orsay, 2008 : 

Le décorateur et l’amateur d’art

Au début des années 1850, la croissance industrielle et les nouveaux investissements (banques et chemins de fer) permettent en France l’émergence d’une élite économique et sociale. Les jeux subtils de l’apparence et du luxe, ravivés par les fastes de la cour impériale, se déploient alors dans les hôtels particuliers. Qu’ils soient issus de la noblesse d’Ancien Régime ou des fortunes de l’industrie et des finances, les clients s’immiscent plus qu’avant dans le processus créatif et chacun devient à son tour décorateur. Pour ces commanditaires, souvent fascinés par le passé ou le lointain, tous les styles se valent, Renaissance comme Louis XIV, l’élégance de Marie-Antoinette ou les enchantements bigarrés de l’Orient. C’est dans ce contexte qu’il convient de restituer le règne de l’opulence décorative et de l’éclectisme artistique, avec comme sources et références, l’historicisme décoratif.

La préséance des architectes

La formation académique des architectes les incite à prêter attention aux ressources des décors historiques. La suprématie de leur fonction les invite à maîtriser chaque aspect d’un chantier. Dans le domaine de l’architecture privée, cette donnée devient essentielle : des personnalités comme Félix Duban ou Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc partagent une véritable passion pour la décoration intérieure.

Rendu célèbre par ses restaurations de la Sainte-Chapelle ou du château de Blois, Duban reçoit peu à peu des commandes privées. Il se trouve chargé de quelques-unes des plus belles rénovations et décorations intérieures de la période. Parmi celles-ci, on peut citer l’hôtel Pourtalès-Gorgier à Paris et le château de Dampierre, où il doit mettre en valeur les collections des propriétaires. Dans le rôle de décorateur, Duban trouve un terrain propice aux expérimentations éclectiques. Il envisage le décor intérieur comme une œuvre d’art totale où rien n’est laissé au hasard, où tout doit participer d’une beauté commune.
L’attitude de Viollet-le-Duc n’est pas si éloignée. Son œuvre de décorateur est de premier ordre, notamment pour les chantiers de Pierrefonds, Roquetaillade et Eu.
Des architectes moins renommés s’impliquent dans le décor intérieur. Ainsi Pierre Manguin est passé à la postérité pour l’hôtel particulier de la vicomtesse de Païva, l’un des symboles du Second Empire. Il y livre une brillante réinterprétation du répertoire allégorique et ornemental de la Renaissance française et du baroque italien
Tout au long du XIXe siècle, le décor intérieur suit les mêmes règles que la création d’objets et de mobilier. Des ornemanistes aux architectes et décorateurs, les attitudes sont identiques. On puise dans les grandes périodes de l’art français et européen comme dans un vaste vivier de sources et de modèles. Les bibliothèques des architectes et décorateurs sont riches d’estampes et de documents anciens. C’est ensuite l’éclectisme, en ses différentes voies, qui rend dynamique ces recours aux références du passé.
Cette curiosité pour les monuments et les objets du passé se retrouve bien-sûr dans la décoration intérieure. Il apparaît d’ailleurs naturel aux grands collectionneurs de placer leurs trésors dans un cadre approprié.

La naissance du décorateur

La suprématie des architectes en matière de décoration intérieure est bientôt concurrencée par une nouvelle profession. En effet, c’est sans doute dans les années 1840-1850 que naît la fonction de décorateur, au sens moderne du terme : celui qui orchestre la distribution intérieure, l’enchaînement des pièces, la disposition du mobilier et des objets.

La figure la plus emblématique de cette profession reste sans conteste Eugène Lami, le décorateur des Rothschild. Si le style Rothschild, qui marie les exigences du beau et du théâtral à l’excellence des objets d’art, fascine encore nombre de décorateurs, n’est-ce pas dû avant tout à Lami, qui en assura la cristallisation? Conseiller, séduire, amuser et éblouir, voilà la tâche du décorateur. C’est ce qu’attend aussi d’Antoine Zoegger Nathaniel de Rothschild , lorsqu’il le charge du décor d’un palais viennois.

Vers une autre beauté intérieure

La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle voient l’abandon de la référence systématique à des styles historiques. Le foyer doit être le reflet d’une aspiration au progrès, et tendre vers l’œuvre d’art totale. Cette dernière tendance, déjà présente auparavant, s’exprime dorénavant plus radicalement. Les artistes proclament l’unité de l’art. Guimard, Van de Velde, Baillie Scott, Hoffmann, Mackintosh, Gaudi, Horta… sont à la fois architectes, décorateurs, créateurs d’objets, de meubles ou de textiles.

L’intérieur de l’esthète devient alors le refuge des expériences modernes, pour lequel le décorateur poursuit son dialogue intime avec l’amateur d’art. Le XXe siècle a presque canonisé la place du le décorateur, personnalité chargée d’orchestrer les décors des demeures élégantes et leurs aménagements intérieurs.

Dès lors, sur un projet de rénovation d’envergure, la conception du projet décoratif et le suivi des travaux étant assurés par le décorateur intérieur ou l’architecte d’intérieur, le peintre en décors, comme les autres corps de métiers, peut n’être qu’exécutant, ce qui restreint ses compétences et l’intérêt de la commande.