HISTOIRE DE PEINTURE (suite): 1904 Année noire pour RIPOLIN
Recherches de documents illustratifs et de textes présentés par Jean-Jacques Chevrier, peintre décorateur ethnologue
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« Il était exactement 4 h. ¼. »
Les mille bruits de la fabrique, les sifflements joyeux, le halètement précipité des machines troublaient seuls le silence. Tout à coup, une détonation formidable ébranla la plaine. La cheminée de l’usine était projetée de tous côtés, les vitres volaient en éclats, tandis qu’une formidable gerbe de feu jaillissait des fenêtres du premier étage. Sous la violence de l’explosion, un arbre, en face de l’usine, fut déraciné et projeté à quelques mètres de là ; le bitume fut soulevé sur plusieurs mètres de longueur ». (Le Radical du 13 novembre 1904)
Tous les journaux parisiens de l’époque décrivent à peu près dans les mêmes termes la forte explosion de l’usine.
Le Petit Parisien du 12 relatait : « Vers quatre et demie, tout le personnel vaquait à sa besogne habituelle dans les divers ateliers du bâtiment principal lorsqu’une explosion formidable se faisait entendre dans le hangar des préparations sous-marines. La toiture s’effondrait aussitôt et une véritable trombe de flammes traversait les ateliers du bâtiment principal, dont une partie de la façade s’effondrait à son tour sur le quai d’Issy. Le déplacement d’air avait été si puissant que des blocs de pierre de taille mesurant près d’un mètre cube avaient été projetés au-dehors et avaient, en tombant, à demi brisé un des arbres du quai. Tout cela n’avait été qu’un éclair. Mais cet ouragan de feu avait attaqué boiseries et récipients contenant des essences, des pétroles et d’autres matières éminemment inflammables. »
L’inflation du sensationnel est palpable dans tous les journaux parisiens bien qu’ils se copient les uns les autres. Un journaliste du journal Le XIXe Siècle, dans une envolée lyrico-patriotique déclarait : «…cette nuit durant laquelle de pauvres gens trouvèrent une mort si misérable. Aussi belle que la mort au champ d’honneur, grande par l’idée de sacrifice qu’elle évoque et les circonstances héroïques dans lesquelles elle a lieu, la mort sur le champ du travail… ».
On peut imaginer la panique parmi les ouvriers au travail « les femmes surtout, dont les vêtements légers avaient pris feu, tournaient, couraient affolées, cherchant une issue pour fuir la mort qui de toutes part les entourait. » La Dépêche du 12, écrivait : « Le bâtiment était occupé à ce moment par de nombreuses ouvrières ; beaucoup se sont jetées par les fenêtres ; d’autres ont utilisé des échelles de sûreté récemment posées. Mais, au cours du sauvetage, à la suite d’un éboulement provoqué par des explosions partielles, un pompier a été obligé de lâcher une des malheureuses qu’il venait de retirer du bâtiment incendié et la pauvre femme est retombée dans les flammes. » Tout comme aujourd’hui, les élus réagissent dans l’émotion.
Le Président du Conseil général adressait ses « sympathies aux familles douloureusement éprouvées par ce sinistre. ». Le préfet de la Seine s’associait « aux condoléances exprimées » par le président du Conseil général. Il était rappelé une proposition récemment déposée par un élu au Conseil municipal de Paris qui demandait « la suppression des grilles placées aux fenêtres des usines où l’on fabrique des matières inflammables. » Il fut envisagé de « réviser le décret de 1894 en ce qui concerne la sécurité des ouvriers dans les ateliers. »
Le bilan de ce terrible accident affichait cinq morts. Treize blessés étaient soignés à l’Hôpital Boucicault et à l’Hospice des Petits-Ménages sur les vingt-cinq recensés. Les autres, plus légèrement atteints étaient reconduits à leur domicile après avoir reçu des soins sur place. Des aides furent apportées aux familles des victimes. « Des listes de souscription » circulaient dans la commune et plusieurs usines firent « appel à la solidarité de leur personnel. »
Le correspondant du Journal du XIXe Siècle dépeint le spectacle qui s’offre aux yeux des visiteurs le lendemain matin : « L’aspect des lieux est lamentable. Les usines Lefranc sont intactes mais rien ne subsiste de l’usine Ripolin. Des nuages de fumée s’échappent encore des ruines que les pompiers arrosent incessamment… Partout, la désolation et la tristesse. Dans un rayon de 500 mètres, les arbres sont carbonisés et les façades noircies. Les fils télégraphiques ont été détruits par la violence du feu sur une longueur de 300 mètres. La cour de l’usine est encombrée d’un amas innommable de charpentes en fer, de pierre de taille et de plâtras. Les murs qui restent debout menacent de s’écrouler à tout instant et l’on attend incessamment que des équipes de maçons arrivent pour les abattre. »