Imitation marbre dans une salle de réunion, pour mettre en valeur les grands pilastres cannelés d’un portique exceptionnel datant du XIXe siècle
Réalisation d’une imitation de marbre brèche violette, avec socles et chapiteaux en imitation bronze.
(Chantier de l’entreprise Décoclean : 06 09 05 54 26)
Représenter le marbre dans la peinture murale gallo-romaine.
Élément primordial de la décoration pariétale antique, l’imitation de marbre peinte fut négligée pendant de longues années. Les travaux d’Hélène Eristov furent les premiers à aborder réellement la question de la représentation du marbre dans la peinture romaine : tout d’abord, en 1976, avec un article dans les Mélanges de l’Ecole Française de Rome, intitulé « Un algorithme appliqué à la classification de l’imitation de marbre dans la peinture pompéienne », puis, en 1979, toujours dans la même collection, avec un article intitulé « Corpus des faux-marbres peints à Pompéi ».
Ensuite, Sylvie Vander Kelen proposa en 1998, un article synthétique mais non exhaustif dans la Revue des Archéologues et Historiens d’Art de Louvain, centré sur l’ imitation de marbre à l’échelle des provinces occidentales, intitulé « Pour un nouveau statut des imitations de marbres antiques ». Enfin, trois sources abordent directement la question du marbre dans la peinture gallo-romaine : l’article de Claudine Allag et de Florence Monier en 2004, « La représentation des roches décoratives dans la peinture murale romaine » dans l’ouvrage dirigé par Pascale Chardron Picault, Les roches décoratives dans l’architecture antique et du Haut Moyen-âge ; le mémoire de Maîtrise de Morgane Thorel, Le rôle des imitations de marbres dans la peinture murale gallo-romaine (Ier siècle av. J.-C. – fin du IIIe siècle ap. J.-C.), soutenu sous la direction de Gilles Sauron en 2005 ; et pour terminer, du même auteur, un article de 2011, « Le rôle des imitations d’opus sectile dans la peinture murale gallo-romaine (deuxième moitié du Ier siècle – fin du IIIe siècle ap. J.- C.) », dans les actes du colloque international Décor et architecture en Gaule, entre l’Antiquité et le haut Moyen Âge : mosaïque, peinture, stuc, organisé à l’Université de Toulouse II-Le Mirail, les 9-12 octobre 2008.
Les rapports entretenus par le marbre et la peinture, dans l’Antiquité, sont ténus, privilégiés mais également contradictoires ; les textes romains l’attestent. Pour Pline, les deux termes s’excluent : «Primumque dicemus quae restant de pictura … ; nunc vero in totum marmoribus pulsa. », tandis que pour Vitruve, l’imitation de marbre, peinte sur un enduit, marque les débuts de la peinture : « Ex eo antiqui, qui initia expolitionibus instituerunt, imitati sunt primum crustarum marmorearum varietates et collocationes ». Ce témoignage de Vitruve laisse planer un doute sur la volonté de représentation des Romains. « Représenter sur les enduits les différents bigarrures du marbre », s’agit-il d’imiter des marbres réels et dans ce cas ces décors sont nommés « faux-marbres » ou s’agit-il de représenter leurs bigarrures sans chercher de ressemblance avec un marbre précis ? La question n’a toujours pas été tranchée, et il est admis que certaines représentations de marbres sont entièrement nées de l’imagination des artistes peintres, ce qui pose quelques difficultés au niveau de l’étude lorsque les spécialistes de la peinture murale sont confrontés à des œuvres qui pourraient tout aussi bien être classées dans la catégorie des imitations mal réalisées que dans celle du marbre inventé.
La Gaule est d’ailleurs beaucoup plus concernée par cette question que ne l’est l’Italie. Morgane Thorel indique, à ce sujet, que la réception des œuvres peintes italiennes par les artisans gallo-romains s’est faite avec un certain nombre de libertés, très visibles notamment dans les imitations de marbre. Ainsi, dans l’étude de la peinture gallo-romaine, il est convenu d’utiliser le terme « imitation de marbre » pour tout minéral représenté ; il faut prendre cette dénomination comme une solution de facilité, au risque de heurter les géologues. Cependant, même si ce terme est usité de façon générale, l’identification de chaque roche décorative représentée, lorsqu’elle est possible, est indiquée.
Présentes dans les quatre styles pompéiens, les imitations de marbres sont peintes majoritairement en Gaule dans la période comprise entre la fin du Ier siècle et la deuxième moitié du IIe siècle. Le plus souvent en zone inférieure de paroi, elles peuvent être classées en deux catégories : la première, avec une roche à dominante jaune claire, qui fait apparaître des veines brunes dessinant des formes ovoïdes, parfois rehaussées de cernes plus clairs ou plus foncés. Il s’agit sans doute d’une imitation, parfois dévoyée, du marbre jaune des carrières de Chemtou en Tunisie ; la deuxième présente une roche sur fond rouge sombre ou vert foncé, privilégiant de fines tâches polychromes, parfois ordonnées, le plus souvent en mouchetis aléatoire, ce qui reproduit, plus ou moins fidèlement, les faciès différents du porphyre ; la grande majorité des découvertes d’imitations de marbre correspond à ces deux types.
Le succès de la représentation du marbre peint et sa généralisation correspondent à plusieurs critères.
Toute marbrure a une fonction pratique dans la mesure où elle constitue un mode de décoration privilégié en zone inférieure, la zone de la paroi qui se dégrade le plus rapidement. En effet, grâce au traitement marbré, la saleté et l’usure se révèlent moins vite, ce qui évite des réfections trop fréquentes. De plus, d’après Morgane Thorel, les marbres feints s’imposent également au niveau pratique et économique par rapport à de considérations esthétiques. Néanmoins, l’argument économique doit être relativisé. En effet, il n’est pas rare de trouver au sein d’un même édifice, une pièce ornée de peintures murales imitant le marbre et une autre pièce décorée de véritables placages de marbre. Ainsi, la thèse selon laquelle le marbre peint serait une alternative à un manque de moyens pour la mise en place d’une décoration avec du vrai marbre est à nuancer.
Le marbre peint présente un rôle esthétique indéniable qui se manifeste à travers l’impératif d’illusion et sa fonction dans un programme décoratif (jeux de couleurs et de reliefs). Enfin, pour terminer, Sylvie Vander Kelen ainsi que Morgane Thorel voient un rôle symbolique dans l’utilisation des marbres peints. En effet, principalement situées dans les espaces de vie en commun des demeures (thermes, espaces de circulation, pièces de séjour), ces représentations sont donc destinées à être vues par d’autres personnes que les habitants eux-mêmes, elles reflètent les goûts du commanditaire.
Le succès ininterrompu des évocations de marbre en Gaule et, plus généralement dans les provinces romaines, s’explique en partie par le fait qu’elles ont revêtu une signification spécifique pour ces populations. Loin d’avoir été une simple mode décorative, ce décor a été institué comme le signe de l’Empire romain et de toutes ses valeurs. Le marbre est la marque de la Rome augustéenne, un symbole très efficace car d’une grande simplicité.*
* Par Nicolas Delferrière Dans Domika