J’ai coutume de dire, pour présenter le métier de Peintre en Décors d’Intérieur à gros traits*, qu’il est à la peinture en bâtiment, ce que la Haute Couture est au Prêt à porter. Je veux dire par là que c’est par notre choix conceptuel et esthétique de décors peints, que nous créons un univers sur mesure qui habille les espaces intérieurs. Selon la demande, qu’elle soit d’inspiration classique, contemporaine ou totalement originale, le Peintre en Décors compose et interprète sur des surfaces peintes uniformément, vides et encore nues, comme le sont les pages blanches d’un livre à écrire.
Et en effet, la beauté d’un décor ne résulte pas seulement du savoir-faire technique, mais émane de l’âme de son compositeur.
Le peintre en décors, reconnu comme pratiquant un métier d’Art intervient cependant dans le contexte de chantier de réfection du bâtiment. Mais avec le statut privilégié d’Artiste, il y est traité à la mesure de la valeur ajoutée considérable qu’apporte sa partition à l’ensemble de l’ouvrage. Le plus souvent, et j’en exprime ici toute ma reconnaissance, le peintre en décors est accueilli avec grâce et considération. Et durant son intervention, le charme de ses peintures est admiré, félicité et respecté de tous. En vérité, Il est bien rare que son travail ne suscite pas l’intérêt et la curiosité.
Les commandes vont du modeste au démesuré, dans toutes les gammes des savoirs faire de notre art, qui sont d’une infinie variété et richesse. Posséder les connaissances techniques et historiques indispensables pour savoir concevoir et réaliser des décors peints de belle facture exige non seulement une formation initiale de qualité –càd permettant d’acquérir des bases indispensables et une bonne méthode de travail- mais encore d’étudier et de s’exercer son existence durant. Car le métier vient avec l’expérience et l’engagement ; engagement qui exige un grand investissement personnel, comme pour tous les métiers de passion.
Il existe 4 métiers différenciés de Peintre en Décors : intérieur, spectacle, façade, et évènementiel.
Chacun s’apprend dans des écoles spécialisées, car les techniques en sont extrêmement différentes. Et, pour ce qui concerne uniquement le métier de Peintre en Décors d’Intérieurs, ces techniques sont déjà d’une si grande variété qu’il est bien difficiles de les maitriser toutes.
Ce métier n’a pas de parcours type; les compétences acquises dépendent grandement du potentiel artistique initial, de la qualité et du type de la formation, puis du parcours professionnel.
. D’une part, viennent à ce métiers hommes et femmes de tous âges, de toutes classes sociales ; certains ont fait d’autres métiers -quels qu’ils soient- d’autres viennent des Beaux-Arts.
. D’autre part, les formations en écoles privées sont toutes aussi diverses, -quoique contrôlées par un cahier des charges en conformité. Chacune privilégie certaines spécialités, certaines techniques plutôt que d’autres, dans un temps imparti -quoiqu’il en soit- bien trop court pour faire le tour des connaissances techniques de notre métier.
. Par ailleurs, les entreprises où le peintre peut être salarié ou vacataire se faisant de plus en plus rares, le peintre en décors travaille généralement à son compte.
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*il est injuste de dire que toutes les entreprises de peintures n’en sont pas capables, mais elles se font plus rares.
Pour ma part, j’ai eu la chance de provenir d’un milieu familial artistique et intellectuel dans lequel toute mon enfance a baigné et plongé profondément ses racines. Un de mes arrières grands-pères était peintre et peintre en décors, mes grands-parents de part et d’autre, peintres et sculpteurs reconnus, ma mère, mon père, peintres et sculpteurs, diplômés de l’Ecole des Beaux-Arts de Bruxelles avec Grande Distinction. Je dois beaucoup aussi à mon beau-père, metteur en scène et comédien.
Mon éducation s’est faite en couleur. Ma mère travaillait aux ateliers de la Comédie Française, de l’Odéon, du Théâtre du Soleil, puis pour de nombreux Opéras de France. Durant l’année scolaire, le temps que je ne passais pas sur les bancs, je pouvais observer à ma guise œuvrer toute cette grande symphonie de compétence que représentait la réalisation d’un spectacle. Bien sûr, j’étais fascinée par les répétions des comédiens, les chanteurs, les danseurs et acrobates ; pour l’enfant que j’étais, c’était un monde féérique. Mais plus encore m’attirait le ballet éblouissant des ateliers de décors, ses trésors et merveilles.
Ah! il fallait voir peindre à la colle de peau chauffée sur des petits réchauds glougloutants, les toiles peintes immenses à même le sol, debout avec des pinceaux à très longs manches, il fallait voir œuvrer Rostislav Doboujinsky, alias ‘Tonton’ pour tout Paris, et Lila de Nobili !
Voir aussi les grands costumiers, insuffler uniquement par la qualité de coupe, la majesté ou le ridicule, les couturières penchées avec un soin attentif sur des splendeurs aux milles dentelles, rubans, strass, nacre, fils d’or, d’argent, plumes et boutons scintillants.
Ou encor les équipes de constructeurs de décors, joyeuse bande vibrionnante de soudeurs et menuisiers, chacun à sa tâche, toujours avec ardeur, le temps étant compté. Les éclairagistes réglant les lumières en se hélant d’un bout à l’autre des cintres du théâtre.
Mais mon atelier préféré, le plus spectaculaire, c’était celui de ma mère, celui des accessoires, d’où sortait des casques et des armures les plus variés, des chapeaux à grandes plumes, un homme si ventripotent qu’il le porte dans une brouette, des soldats morts pouvant s’illuminer, un cheval avec de grandes roues arrières, des oiseaux volants, une copie d’écorché de la Renaissance, une copie du baldaquin de St Pierre de Rome, … et ainsi de suite.
En route jusqu’au Bac littéraire, Lettres Anciennes, j’allais toujours de-ci delà, dans les ateliers, ou les délicieuses boutiques spécialisées qui existaient encore à l’époque -cuir, tissus, métaux, outils. J’assistais, participais au film fleuve « Molière » de A. Mnouchkine, prenant aussi des cours du soir de dessin.
Comme je manifestais quelques aptitudes, après 2 ans aux Beaux-Arts de Cergy, j’ai été encouragée à m’inscrire en 1983 à l’Institut de Peinture Décorative Van Der Kelen, à Bruxelles. Cette école très réputée, dans laquelle enseignait Maitre Van Der Kelen, alors âgé de 73 ans, attirait des élèves du monde entier. Venaient là des enfants des métiers d’art à ceux de l’aristocratie, mais aussi des peintres professionnels ; l’enseignement y était très exigeant pour tous. La formation sur les différentes techniques de base du métier de Peintre en Décors était de 6 mois, mais elle était solide ; on y travaillait dur, les ‘traine-savates’ étaient mis dehors sans ménagement. Cependant, comme à l’origine, cette école avait été conçue pour former des peintres en bâtiment en exercice, n’y était enseignés, ni la gestion d’entreprise (les peintres étant salariés ou déjà à leur compte), ni la conception des décors (réservée aux décorateurs), tandis que l’Histoire de l’Art était à peine effleurée.
Quant à moi, j’avais 20 ans alors, j’étais la plus jeune femme, seul un jeune homme avait quelques mois de moins que moi. Mais j’étais motivée et pugnace ; j’en suis sortie Médaille d’Or.
Peintre en décors :
Le diplôme en poche, alors que l’objectif de la plupart était d’être salarié dans une entreprise, pour y exécuter les décors conçus par d’autres, pour ma part, j’ai préféré refuser ce genre de propositions, craignant d’y mourir d’ennui, par indépendance d’esprit. Pendant quelque temps, grâce à l’entregent de ma mère, j’ai travaillé pour des ateliers de théâtre, de cinéma ou de publicité, mais aussi à la SFP, (Télévision Française) et pour des musées. Les salaires y étaient généreux, mais les conditions pénibles ; c’est une vie en vase clos, où l’on abat la tâche nuit et jour, dans laquelle j’étouffais.
C’est pourquoi, j’ai préféré me spécialiser dans la Décoration Intérieure. Grace à Mme Dorothée Massard, puis Pierre François Battisti, pour qui j’ai quelquefois travaillé, toujours sur de beaux projets, j’ai rencontré une décoratrice, Mme C. Fenwick, avec qui a débuté une collaboration de 25 ans. De ce fait, très jeune, j’ai été confrontée à des commandes pour lesquelles je n’étais pas assez armée, et ai dû combler mes lacunes à marche forcée, tous azimuts.
J’ai appris à m’adapter aux commandes variées, à faire des recherches, des propositions appropriées, peindre des maquettes, des échantillons, organiser le travail de chantier, la gestion des tâches administratives et financières, la communication, et bien d’autres choses indispensables encore, qui concernent ce métier. Car les travailleurs indépendants sont des hommes orchestres, qui doivent être performants à tous les postes, sous peine de mettre la clef sous la porte. Pour pouvoir partager ces taches, mais aussi pour le soutien moral, j’ai toujours travaillé en tandem avec un (ou une) collaborateur-(trice) aux compétences complémentaires aux miennes.
Mais chacun selon son goût, d’aucuns préfèrent travailler seuls, d’autres en groupe.
A ce propos, je ne voudrais pas trop insister sur les difficultés, mais tout de même, s’il est métier qui a une image romantique correspondant si peu à la réalité, c’est bien le nôtre ! Parce que le décor peint orne l’existence et ravit le spectateur, on imagine facilement que l’exécution en est aisée, délassante, et tout aussi réjouissante…. Certes notre métier est gratifiant au possible et rarement ennuyeux, mais il demande autant de force d’âme que de patience, et si l’on travaille sur les chantiers, de ne craindre ni le froid, ni la poussière, ni le bruit, ni les contretemps, et encore moins le stress. Il faut être en bonne forme physique, santé de fer, moral d’acier, diplomate en toutes circonstances. En échange, c’est une vie exaltante vouée à l’Art, à la beauté, à l’élégance, pleine d’inattendu, de joies créatives et de rencontres humaines extraordinaires.
Sur moi, que dire ? Je n’ai pas beaucoup cherché à travailler hors de France, sauf en Suisse ou à Monaco, et mon parcours ne me semble pas éblouissant, mais jamais je n’ai manqué d’ouvrage.
Avec mon collaborateur, nous avons notre propre clientèle, dont un nombre certain de noms très prestigieux, ainsi que notre réseau d’entreprises partenaires, et répondons aux commandes exceptionnelles jusqu’aux plus modestes. Nous sommes intervenus dans nombre de châteaux classés, manoirs du 19e siècle, hôtels particuliers parisiens, ou appartements de grand standing, pour des créations, mais aussi des restaurations. Nous réalisons des décors peints sur les murs, plafonds, huisseries, colonnes, cheminées… mais aussi les mobiliers. Nous sommes souvent appelés à restaurer, ou à restituer, des décors peints anciens. Nous avons réalisé ou restauré des trompe-l’œils sur toile, puis les avons marouflées. Il nous est même arrivé de peindre sur des rideaux.
L’enseignement :
Tout en continuant à enchainer les chantiers, voilà qu’en sus, à 25 ans, c’est-à-dire trop jeune, et encore peu experte, m’a été donné l’opportunité d’enseigner, au début, dans un Centre de réinsertion professionnelle de chômeurs en difficulté. Me voilà révisant mes bases pour monter mon cours, et enseignant à des jeunes chômeurs ou sortis de prison, voire SOS femmes battues !
Malgré tout, mes cours ont eu immédiatement du succès, et de fil en aiguille, j’ai enseigné 25 ans durant, dans 7 ateliers ou écoles spécialisées différentes, (dont 10 ans à l’Ecole d’Avignon, du temps de M. S. Nourissier, 10 ans à l’Ecole d’Art Mural de Versailles) des imitations de bois, la fausse moulure, des grotesques et des trompe l’œil.
Enseigner est une riche expérience, qui pousse à synthétiser et organiser ses compétences, à faire des recherches approfondies afin d’établir les fiches techniques et historiques. J’ajoute que ce qu’on apprend de ses élèves est considérable.
Le Concours MOF :
Les écoles encouragent leurs enseignants à s’inscrire au concours MOF. Ainsi j’aurais dû le passer bien plus jeune, mais mon travail ne m’en laissait pas le loisir. J’enchainais les chantiers aux cours et les cours aux chantiers ; pendant 15 ans, j’ai vécu à côté de ma valise. Mais lorsque Pierre Lefumat, un maître respecté et aimé de tous, qui alors enseignait aussi à l’Ecole de Versailles, a remis le projet sur la table, je me suis enfin décidée à refuser quelques chantiers pour pouvoir rendre à mon métier ce qu’il m’a donné.
Et j’en suis convaincue, c’est grâce à la conjonction de toutes mes expériences acquises que j’ai pu me confronter avec succès aux exigences du concours MOF. Ce sont elles aussi qui, grâce à la confiance que m’avait accordé le président du jury, M. Luc Papavoine, m’ont permis de reprendre au pied levé, en tant que vice-présidente du jury responsable du jury Peintre en Décors, les modalités et le sujet du concours MOF, pour tenter de mieux les adapter aux contingences du métier actuel.
Aujourd’hui, je pense un peu plus à me ménager ; j’ai baissé un peu la voilure, cessé l’enseignement, ne me consacrant qu’à mes chantiers. Ce qui me laisse, du coup, du temps pour m’investir sérieusement dans le jury de concours MOF.
Puisque j’ai été appelée à participer à la refondation du concours, je tiens en effet, après avoir transmis mes connaissances à la génération future et participé à former des peintres de grande valeur, à encourager les peintres en décors à s’investir dans ce concours, afin de les soutenir dans leur parcours professionnel, mais aussi à promouvoir et pérenniser notre métier.
A tous ceux et celles qui sont tentés par ce métier, je recommande de visiter autant de musées, églises et châteaux que vous pourrez, pour y étudier la belle peinture, les décors de maîtres anciens, pour former votre œil et nourrir votre âme. Puissent-ils vous insuffler de grandes ambitions, mais aussi l’humilité.